Cinéma : ce monde apocalyptique que décrivent les réalisateurs d’Europe de l’Est

En Europe de l’Est, si l’on en croit les films les plus forts qui se présentent à nous, le soleil a cessé de se lever. A sa place, pour chaque promesse, la nuit anticipée de l’apocalypse obscurcit le ciel. Ses bêtes se déchaînent, elles courent à travers les forêts, le crime et la corruption, la bêtise et le carnage enflamment un monde empoisonné par la haine de tous contre tous. L’invasion russe de l’Ukraine, avec sa barbarie insondable, sa paranoïa galopante, sa fière menace d’atomiser le monde, ne fait aujourd’hui que cristalliser le sentiment qu’une nuée de films terrifiants, à l’est de l’Europe, est sur nos écrans depuis plusieurs années.
Dressons-en une liste, pour mémoire, notant au passage que leurs auteurs, d’où qu’ils viennent, ne s’alignent sur aucun autre conflit que celui, immémorial, de la liberté de penser et de créer contre l’aliénation et la tyrannie. Il y a quatre films russes là-bas : Manque d’amour (2017) d’Andrei Zviaguintsev, Entête. Une vie à l’étroit (2017) de Kantemir Balagov, Poings ouverts (2021) de Kira Kovalenko, La femme de Tchaïkovski (à venir) de Kirill Serebrennikov. Deux Ukrainiens : Pot Babi. le contexte (2022) de Sergej Loznitsa, Le serment de Pamfir (2022) de Dmytro Sukholytkyy-Sobchuk. Deux Hongrois : Évolution (2021) de Kornel Mundruczo, Lumière naturelle (à venir) de Dénes Nagy. Deux Roumains : Je me fiche que l’histoire nous considère comme des barbares (2018) de Radu Jude, IRM (2022) de Cristian Mungiu. Un Géorgien : Au début (2021) par la déesse Kulumbegashvili.
A défaut de décrire chaque film dans sa singularité, nous voulons, plus essentiel pour notre propos, faire ressortir les grandes raisons qui les hantent et qui les partagent en tout ou en partie. Nous appelons la haine du prochain. La rupture de la relation. Le retour aux forces primitives (forêts et bêtes). Destruction par le feu. La descente dans la nuit. Un tableau général qui évoque les anciennes malédictions du Deutéronome.
Destruction en cours
Au premier chapitre, une sombre renaissance du populisme, du racisme, de l’antisémitisme. Une famille juive expulsée d’une république caucasienne en proie à la montée de l’islamisme (Entête. Une vie à l’étroit). Le massacre caché de l’Holocauste en Ukraine (Pot Babi. le contexte). La transmigration du traumatisme génocidaire sur trois générations (Évolution). La négation simultanée de l’Holocauste en Roumanie à travers la reconstitution spectaculaire du massacre de vingt mille juifs à Odessa par les troupes du maréchal et premier ministre Ion Antonescu (Je me fiche que l’histoire nous considère comme des barbares). Un crime de guerre commis sur le territoire soviétique par des fascistes hongrois pendant la Seconde Guerre mondiale (Lumière naturelle). L’appel au lynchage des boulangers pakistanais dans un village roumain (IRM). La persécution des Témoins de Jéhovah en Géorgie par l’intimidation, l’humiliation et le viol (Au début).
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