Incendie mortel à Vincennes : histoire d’un cinéphile et d’une passion inflammable

Le téléphone de Serge Bromberg a sonné au milieu de la nuit. Police judiciaire, service départemental du Val-de-Marne. Dès 1h du matin, au milieu de cette nuit torride du 10 au 11 août 2020, un incendie a ravagé l’immeuble du 30 rue de la Liberté, à Vincennes, en banlieue parisienne, où il conserve une partie de ses bobines de film. .
Le feu, diront les témoins, a été exceptionnellement rapide et violent. Un homme, à travers la fumée qui enveloppait les étages supérieurs, se mit à crier : « Je suis sur le point de sauter ! » Le corps de Jean-Philippe P., 55 ans, a heurté l’échelle des pompiers avant de retomber au sol, avachi. Au deuxième étage, Rachel S., 69 ans, n’a pas sauté. Téléphone en main, elle a appelé à l’aide depuis son balcon. Le feu a fini par l’emporter. « Elle disparaît dans les flammes, on ne la voit plus, on ne l’entend crier que quelques secondes », se souvient un policier témoin de la scène. Une trentaine de riverains ont été évacués. Pendant cinq heures, le feu va tout engloutir avant que les pompiers ne parviennent à l’éteindre.
Plus de deux ans après les faits, Serge Bromberg, figure du patrimoine cinématographique français, est renvoyé devant le tribunal correctionnel de Créteil, mardi 22 et mercredi 23 novembre, pour « homicide involontaire » et « mise en danger de la vie d’autrui ». Au cours de l’enquête, la police est parvenue à la conclusion que l’incendie s’était déclenché depuis le garage où sa société – Lobster Films, d’une trentaine de salariés, créée en 1985 avec Eric Lange et spécialisée dans la restauration de films anciens – gardait les bobines.
Les serpentins en nitrate de cellulose, plus fragiles, voire plus dangereux, sont appelés « film de flamme » dans le jargon, car ils présentent un risque élevé de combustion
Le local de 180 m2, acquis il y a vingt-cinq ans pour entreposer les stocks, est composé de trois pièces. Le premier accueille des bobines de 35 mm. Dans le second, éclairé par une vitre, sont rangés les DVD et, enfin, dans un local fermé à l’arrière, d’autres bobines, dont les plus fragiles, voire les plus dangereuses, celles en nitrate de cellulose, connues dans le jargon sous le nom de « films de flammes », car ils présentent un risque élevé de brûlure.
Jusque dans les années 1950, le nitrate était la règle pour les films 35 mm. Le risque qu’ils s’enflamment est considéré comme réel s’ils sont exposés à une chaleur supérieure à 41°C. En vieillissant, ils ont tendance à se casser et plus ils cassent, plus le risque est grand. En 1952 leur production est définitivement interdite, leur diffusion interdite l’année suivante et leur diffusion interdite à partir de 1959. Bien avant l’arrivée du numérique à la fin du 20ème siècleEt siècle, qui classerait le format 35 mm dans la quasi antiquité, le film nitrate est très vite remplacé par le film acétate, puis le film triacétate, dit aussi film « de sécurité », ou, plus tard, polyester. Mais, si l’on s’intéresse aux « premiers films », comme dans le cas de Serge Bromberg, on est obligé de s’occuper des films nitrate.
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