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Les Évadés de l’espace : le Star Wars japonais délirant par le réalisateur de Battle Royale

Et oui, Guerres des étoiles a eu droit à sa version japonaise avec S’évader de l’espaceun film délirant de Kinji Fukasaku, connu en occident pour sa férocité Bataille royale.

La sortie de S’évader de l’espace sur les écrans japonais en avril 1978 était un petit événement en soi. Cette production marquée Tōei (l’un des plus grands studios japonais) devrait se précipiter dans le sillage de Guerres des étoiles qui a ensuite triomphé dans les salles en Occident est sorti en salles quelques mois avant Juggernaut de George Lucas.

Avec un budget conséquent à l’époque (6 millions de dollars) pour un long métrage japonais, ce blockbuster déjanté était presque une anomalie aux côtés des chambaras et autres kaiju eiga des genres phares du pays. Et 45 ans plus tard, le film de Kinji Fukasaku (connu en France surtout pour Bataille royale) a acquis le statut de cultequi au fil du temps s’est affranchie de son image de pâle copie de Guerres des étoiles.

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Dans une galaxie pas si lointaine…

Pourquoi oui, les auteurs de S’évader de l’espace ils se sont en fait inspirés de l’œuvre de George Lucas (et d’ailleurs ils ne l’ont jamais caché) tant au niveau du scénario que de la mise en scène. A tel point que le spectateur attentif et admirateur de Star Wars : Épisode IV peut être offensé par le dispositif déployé par Kinji Fukasaku.

L’histoire se déroule en l’an 5001 et raconte la lutte désespérée entreprise par les habitants de la planète Jillucia contre le terrible empire des Gavanas, dirigé par Rockseia 12. Le chef des Jilluciens implore alors l’aide du dieu Niabé. Ce dernier va disperser huit noix dans le cosmos pour trouver un maximum de champions pour sauver ses partisans. A priori, le synopsis n’a rien à voir avec Guerres des étoiles. Pourtant, de nombreux éléments coïncident (et pas par hasard) avec le space opera de George Lucas.

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La princesse Leia (dame Esmeralida désolée), les pilotes casse-cou, les droïdes C3PO (Beba oups), l’épéiste Hans (non, il n’a pas de sabre laser), les stormtroopers (pas de Gavan, définitivement), le combat spatial ou la planète transformée en mobile géant forteresse sont parmi les nombreuses occurrences avec Guerres des étoiles; qui peut aussi bien amuser qu’agacer.

Il convient de noter, cependant, que l’assaut sur l’étoile de la mort (ah encore, une autre erreur, par Jillucia, désolé) a peut-être inspiré les auteurs de StGuerres du goudronpuisque son déroulement ressemble à être échangé à celui qui existe dans lesLe retour du Jedi. Ce qui laisse penser que l’influence de George Lucas sur S’évader de l’espaceil s’appuie avant tout sur l’art local avec lequel le réalisateur américain a construit son univers.

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… L’aura d’Akira Kurosawa persiste

Il faut en effet rappeler que George Lucas a puisé certaines de ses idées chez Akira Kurosawa et plus précisément chez La forteresse cachée pour donner vie à la première partie de sa franchise. Il n’est donc pas surprenant que Kinji Fukasaku fasse de même en créant un long métrage purement japonais qui se démarque ainsi de son statut de substitutGuerres des étoiles.

Quand on s’attarde un peu sur certaines sources scénaristiques ou sur le traitement des personnages, on se rend compte que l’ombre et surtout l’humanisme d’Akira Kurosawa se profile S’évader de l’espacebien plus que vers le haut Guerres des étoiles. L’histoire rappelle parfois beaucoup Les sept samouraïs tandis que les causes de la prise de conscience des élus de Niabé renvoient aux valeurs prônées par le directeur de Rashmon.

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Compassion, abnégation, rédemption sont les qualités nécessaires aux protagonistes pour accomplir leur destin. D’autant plus qu’aucun d’entre eux n’est doté d’un pouvoir ou d’un talent inégalé. Général à la retraite, prince héritier exilé, pilotes casse-cou sans le sou ou arnaqueurs à faible revenu, les huit héros ne manient pas la Force et ne sont pas, ou plus, des soldats aguerris. Ils ressemblent beaucoup plus aux simples mortels, ce qui les rend plus vulnérables et surtout plus attachants.

Par ailleurs, Kinji Fukasaku souligne la prépondérance du collectif et ne veut jamais s’attarder sur l’un des protagonistes en particulier, ceci pour mieux souligner l’importance de la communauté. De plus, il n’hésite jamais à varier son approche, mêlant habilement les genres (chambara, space opera, horreur ou comédie) et rend hommage au passage aux films traditionnels en costumes chers à ses aînés. Mais bien sûr, ces multiples références à peine forcées n’empêchent à aucun moment le réalisateur de greffer son regard très personnel, plein de colère et de violence.

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Du Yakusa au space opéra

avant de tourner S’évader de l’espaceKinji Fukasaku avait fait ses preuves avec des thrillers cruels orientés Yakusa et avait marqué les téléspectateurs avec Combattez sans code d’honneurro Le cimetière de la morale. Quentin Tarantino évoque aussi régulièrement la filmographie de l’artiste lorsqu’il évoque les œuvres qui l’ont marqué. Confronté à la violence dès son plus jeune âge (il a travaillé dans une usine d’armement pendant la guerre), Kinji Fukasaku s’interrogera à vie sur la transformation de la société après le conflit (comme un Yasujirô Ozu mais beaucoup plus virulent).

Et évidemment, cette question se retrouvera dans chacun de ses longs métrages, dans lesquels il injecte du venin et du cynisme. S’évader de l’espace il n’échappe pas à cette règle, et la cruauté insufflée dans certaines scènes contraste avec l’humanisme précité. Le réalisateur est particulièrement choqué lorsque les forces terrestres bombardent les innocents de Jilucia pour frapper les lignes ennemies ou lorsqu’une belle-mère aigrie fouette sauvagement la douce Esmeralida.

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Mais il devient le fruit d’un audacieux amalgame, né des convergences issues des visions de Guerres des étoilesla pureté d’Akira Kurosawa et les obsessions de son propre auteur, que S’évader de l’espace il acquiert une vraie cohérence et une identité unique. Plus que jamais on peut parler de film culte sinon de chef d’oeuvre pour ce film aussi moqué qu’acclamé pour ce qu’il incarne : un pur plaisir coupable dénué de toute prétention.

Simon

Je m'appelle Simon et je suis responsable de la section cinéma de vipcom. Père de deux enfants et grand amateur de propositions cinématographiques inhabituelles. Je pense que si l'on veut faire un bon film, il faut être passionné et savoir donner vie à sa vision. Mais j'aime aussi rêver de temps en temps - il est important de rester créatif !

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