« Les Rascals », « Apaches »… comment le cinéma français tente de séduire le public jeune

Deux films à venir Les coquins Et Apacheils tentent de séduire les 15-25 ans, qui évitent le cinéma français et préfèrent les productions américaines.
Après des mois de disette, le cinéma français affiche à nouveau complet. Mais il manque des 15-25 ans, qui préfèrent les blockbusters (Panthère noire), film d’horreur (Le sourire) et animation japonaise (Une pièce rouge). Pour attirer ce jeune public, vers lequel le cinéma français n’a jamais été attiré, les producteurs concevront deux films spécialement pour eux début 2023, Les coquins (11 janvier) et Apache (22 février).
Réalisé par Jimmy Laporal-Trésor, Les coquins est l’histoire nuancée de l’affrontement d’une bande de cités contre des skinheads dans le Paris des années 1980. Apachele nouveau film de Romain Quirot (Le dernier voyage), une femme s’infiltre dans un gang ultra-violent qui fait régner la terreur dans le Paris Belle Epoque pour venger la mort de son frère.
« On ne peut pas laisser les films de super-héros américains aux jeunes et ne pas essayer de s’amuser sur ce terrain de jeu », prévient Romain Quirot. « Pour moi c’est très important de toucher les jeunes, de ne pas les oublier en leur proposant des films audacieux ». Et de lui proposer des films en dehors des comédies potaches (Malgré lui des super-héros, Segpa), un genre français rare plébiscité par le jeune public.
Pendant des années, le cinéma français a délaissé les 15-25 ans, souvent par peur de prendre des risques, laissant le champ libre à Hollywood.
« On a laissé les jeunes entre les mains d’un autre cinéma, très formaté, qui ressemble beaucoup à un gigantesque parc d’attractions, et qui s’impose à force de moyens, à la clameur sur les réseaux », résume Manuel Chiche, qui a produit The Rascals avec sa compagnie Jokers.
« Le public des 15-25 ans est très restreint »
Si attirer les 15-25 ans vers le cinéma français est « une vraie difficulté », avoue Nicolas Blanc, producteur de Coquins, ces derniers semblent réceptifs. « On dit que les jeunes n’aiment pas le cinéma français, mais ce n’est pas vrai », insiste Vincent Courtade, directeur marketing de Jokers. « Nous n’avons tout simplement pas apporté suffisamment de films pour eux. »
« Depuis deux ans, on constate que le public des 15-25 ans est très fasciné par le cinéma, confirme Blandine Boullier, directrice du cinéma Le Rex à Sarlat. « A partir du moment où on leur fait une offre qui leur est dédiée, ils sont là, contrairement aux personnes âgées, qui s’éloignent des cinémas. Le pass culture nous a montré que les jeunes viennent au cinéma ».
Les 15-25 ans ont ainsi contribué au triomphe de misérable (2019), par Ferry Nord (2021) et plus récemment par Novembre. L’établissement de label « jeunes cinéphiles » du CNC, pour développer la cinéphilie, mais aussi le label 15-25 de l’Association Française des Cinémas d’Art et d’Essai (AFCAE) devrait permettre d’attirer plus de jeunes vers le cinéma.
Les coquins il sera donc le favori de l’AFCAE en janvier. « L’idée est d’aider les cinémas par une action de surveillance, d’identifier les films qui pourraient intéresser ce public », explique Mathieu Guilloux, coordinateur jeune public à l’AFCAE. Lac du faucon de Charlotte Le Bon et le film d’animation japonais Inu-oh de Masaaki Yuasa.
« Une ambiance de folie dans la salle »
Ces films sont peu nombreux. La faute au mode de financement du cinéma français, lié à la télévision. « L’audience de la télévision vieillit », souligne Manuel Chiche. « Il est difficile de financer des films qui ne sont pas destinés à ce public. C’est un problème auquel le CNC doit répondre : encourager les filières à cibler les jeunes. Aujourd’hui, les plateformes s’adressent également à un public plus âgé.
« Le jeune public n’a pas été pris en charge ces dernières années, mais on essaie d’y remédier », assure Valérie Boyer, directrice générale de France 2 Cinéma, qui a participé au financement des Coquins.
« Maintenant, il faut passer par nos amis producteurs pour avoir des propositions comme celle-ci. »
Les coquins était envisagé comme un film transgénérationnel, tant pour les ex-ados des années 80 que pour ceux d’aujourd’hui. « C’était aussi et surtout fait pour eux », insiste Manuel Chiche. « Cette petite histoire de France, qui n’a pas défrayé la chronique, on a envie de la raconter. C’est important que ces jeunes comprennent leur pays. »
Les premières réactions du public lui donnent raison. Les coquins il a triomphé le mois dernier au festival du film de Sarlat, où il a été présenté devant 580 lycéens en option cinéma. « Il y avait beaucoup d’émulation dans la salle », se souvient Blandine Boullier. « Ils étaient assez mal informés sur les faits relatés dans le film, et il y avait une forte adhésion au sujet. Il y avait une ambiance de folie dans la salle. »
« Pour écrire des histoires qui les touchent, il faut aussi essayer de comprendre cette génération », explique Manuel Chiche. « Le sujet doit parler de choses qui les concernent aujourd’hui. Le climat politique et social actuel est quelque chose qui inquiète beaucoup les jeunes », renchérit Jimmy Laporal-Trésor, directeur de Coquins.
Entre « Gangs of New York » et « Peaky Blinders »
La présence de nouveaux venus est également agréable. « Avoir de nouveaux acteurs à l’écran crée une proximité avec le jeune public. On se sent plus intéressé par une histoire quand les personnages sont proches de notre âge », commente Jimmy Laporal-Trésor. « Les jeunes ont adoré, car c’est une bande de copains qui ne lâchera rien », ajoute Vincent Courtade. « Ils s’identifient vraiment à ça. »
Les premiers téléspectateurs Coquins ils ont également été surpris par « l’énergie plutôt rock ‘n roll » du film. « Quand on est jeune, on aime aller voir des films qui bougent un peu. On aime les films un peu plus rythmés », explique Jimmy Laporal-Trésor. « Les jeunes l’ont entendu », se félicite Manuel Chiche. « Jimmy utilise le cinéma tel qu’il existe aux Etats-Unis », ajoute Nicolas Blanc.
Apachec’est aussi un film très rythmé, avec une bande originale anachronique (rap, électro, variété française). « J’ai voulu créer une fresque tourbillonnante à l’image de la liberté et de la fougue de la vie Apache [ndlr: ces gangs de voyous parisiens à la Belle Epoque] », confie Romain Quirot. « Je ne voulais pas m’enfermer dans la petite prison des codes français. C’est un film où les gosses mettent des Doc Martens et frappent les bourgeois avec des clubs de golf. »
« Si on veut séduire les jeunes survoltés de produits Netflix, il faut leur proposer quelque chose d’un peu différent pour les exciter et piquer leur curiosité », plaide encore le réalisateur. « Qu’il s’agisse de la narration ou de l’esthétique, tout est réuni pour être apprécié par un jeune public », abonde Antony Baptista, directeur marketing de Tandem, la maison de production derrière Apache.
Ce n’est pas la première fois que le cinéma français tente de cibler un public adolescent. En 2021, le film loup-garou ours en pelucheil avait reçu un soutien considérable de la presse en amont, avant de disparaître rapidement du projet de loi. « Nos partenaires financiers sont convaincus qu’il faut élargir le spectre. Après, le problème reste avec la transmission [les exploitants de salles, NDLR] qui ne court pas beaucoup de risques », regrette Nicolas Blanc.
De TikTok à « Avatar »
Attirer les 15-25 ans dans des salles obscures reste difficile, car « ils n’ont pas l’habitude d’être interpellés par le cinéma », poursuit le producteur. Désormais, la bataille se joue sur les réseaux sociaux. Tandem s’alimente depuis plusieurs mois avec l’aide d’un créateur de contenu un compte TikTok dans les coulisses deApache. Certaines vidéos ont eu beaucoup de succès, avec près d’un million de vues.
« Il y a beaucoup d’anecdotes sur le tournage et la réalisation d’un film », explique Antony Baptista. « On s’est rendu compte que les jeunes abonnés étaient comme des fous quand on leur a dit le…