Pinocchio : critique qui touche du bois sur Netflix

En Guillermo nous avons confiance
Si nous apprenions à avoir une foi aveugle en Guillermo del Toro, Pinocchio peut s’inquiéter légèrement à cause de la « malédiction des contes de fées ». Derrière cette expression barbare se cachent ces nombreuses adaptations décevantes d’histoires intemporelles que l’on doit à des auteurs confirmés.
En effet, ces adaptations se sont avérées d’autant plus infructueuses qu’elles semblaient calibrées aux cinéastes concernés, comme une sorte de concentré de leurs obsessions, Spielberg et l’enfance (accrocher) à Tim Burton et ses mondes fantastiques psychédéliques (Alice au pays des merveilles).
Voir del Toro monopoliser ainsi le conte de Carlo Collodi est une évidence tant le caractère monstrueux de cette marionnette vivante résume parfaitement la fascination du réalisateur pour toucher les monstres. Mais cette évidence aurait pu encore une fois donner lieu à une adaptation trop littérale, ou à une mauvaise émulsion de l’histoire avec l’univers du réalisateur.
Bouh
Hommes (ou vrais petits garçons) de peu de foi que nous étions, car après ses premières minutes, Pinocchio confirme non seulement un équilibre parfait entre respect des origines et nouveauté, mais aussi qu’il pourrait très bien être la meilleure adaptation cinématographique de l’œuvre de Collodi. En fait, del Toro nous avait déjà donné toutes les clés pour attraper le projet depuis Le Labyrinthe de Pan. Le conte de fées prend une forme ambiguë, immergé dans le fonctionnement du franquisme comme barrière contre l’horreur du réel, et comme parcours initiatique qui oppose loi et morale.
Là où le conte de fées a souvent servi à effrayer les enfants, et à leur inculquer des règles a priori immuables, del Toro a détourné la dimension paternaliste pour faire de son film un hymne à la désobéissance. L’héroïne a dû apprendre à dire non, même à la figure merveilleuse qui devait la soutenir (le faune). La marionnette tapageuse est enfin l’héritière logiqueun doux rêveur qui refuse de voir un avertissement dans son histoire.
« Pinocchio c’est fini, j’ai les hauteurs »
Stop-(e)motion
Pas étonnant que del Toro s’identifie autant à ce personnage, par exemple prolonge cette métaphore produite par la forme de son long métrage. Alors que l’animation est encore systématiquement méprisée et que le stop motion l’est encore moins (principalement en raison de sa complexité et de son aspect chronophage), l’artiste lui rend ses lettres de noblesse. On pourrait même y voir une sorte de vilain doigt d’honneur à la stratégie globale d’une industrie qui pousserait à se reposer sur ses lauriers.
Le réalisateur fait de son long métrage une anomalie, un monstre technique sublimé par ses designs évocateurs (sa fée bleue, son Sebastian J. Cricket) et des plans dont la complexité impressionne régulièrement. Son stop-motion est d’autant plus imperceptible qu’il demande paradoxalement à être vu. Del Toro, d’ailleurs, sculpte le mouvement, anime l’inanimé comme Gepetto, dont il souligne le talent d’artisan dans un prologue aussi surprenant que poignant.
Nous jetons des roses
La naissance de cet être magique est donc à des années-lumière des versions précédentes, depuis lors le réalisateur réveille l’héritage d’un effrayant Dr Frankenstein aux yeux de ce Pygmalion éploré. Pinocchio devient une procuration, l’évitement d’une douleur qui pourtant ne demande qu’à combler le vide dans le cœur des autres (une idée fantastique que Del Toro traite au pied de la lettre).
Le récit trouve donc une réinterprétation plus psychanalytique, sans que l’auteur perde le rythme de son récit. Là encore, le Mexicain surprend malgré l’évidence de son traitement, tout en poussant son adaptation à l’Italie fasciste des années 30. La dureté du passé est confrontée de plein fouet à l’innocence de son protagoniste, au point de générer de franches interruptions de ton. sur le plan narratif et stylistique.
Mais la mayonnaise prend, tout simplement parce que le réalisateur valorise le fond de son cinéma : amour de la culture pop et de la riche intertextualitésans aucune hiérarchie de références et d’articles
Si vous signez ici, il y aura un Hellboy 3 et un (vrai) Pacific Rim 2
C’est peut-être finalement ce qui fait Pinocchio (le film en tant que personnage) le nouvel épicentre magistral de la filmographie de Guillermo del Toro. Cherchant à faire exploser les conventions et la logique oppressive d’une société trop rarement remise en question sur ses mérites, la marionnette et l’artiste se complètent, et reviennent à une humanité plus essentielle et universelle que jamais, où la mort s’impose et son appréhension comme une de ses composants principaux, qui ne peuvent être évités.
À partir de là, del Toro suit son raisonnement jusqu’au bout et justifie pleinement l’histoire de Pinocchio, ainsi que sa morale, pour une fin dévastatrice et douce-amère. Habité par son sujet, il donne vie à ce conte de fées pas comme les autres, avec lequel il ne cesse de magnifier sa voix incarnée (Ewan McGregor, Cate Blanchett, Ron Perlman, David Bradley, entre autres). Del Toro deviendrait presque lui-même un personnage de conte de fées : un Geppetto qui a réussi à briser la malédiction.
Pinocchio est disponible sur Netflix à partir du 9 décembre 2022