« Plus que jamais », l’ultime film de Gaspard Ulliel : une méditation sur la mort à travers l’histoire d’un couple

L’AVIS DU « MONDE » – À VOIR ABSOLUMENT
Plus que jamais il ne peut s’agir que d’une étrange expérience cinématographique, puisqu’il met en scène la dernière apparition de son acteur, Gaspard Ulliel, décédé dans un accident de ski en janvier, à l’âge de 37 ans. Le spectateur passera une séance entière aux prises avec cet événement tragique, essayant de le mettre de côté, même s’il se superpose constamment aux images d’Emily Atef, jusqu’à ce que la fiction se transforme en un document involontaire.
C’est d’autant plus troublant que le film se veut une méditation sur la mort, tournée à travers l’histoire d’un homme, Mathieu (Gaspard Ulliel), et d’une femme, Hélène (Vicky Krieps), qui souffrent d’une maladie auto-immune incurable. Ne supportant plus la pitié embarrassée qu’elle perçoit dans les yeux de ses proches, la jeune femme va peu à peu s’isoler, embrasser la solitude et la compagnie d’un blogueur norvégien dans ses mêmes conditions.
Au-delà de ses nuances douloureusement prophétiques, le film, qui se concentre sur l’histoire de l’isolement d’Hélène, tente de capter le plus fidèlement possible comment la maladie reconfigure l’amour, la vie sociale, l’idée même d’avenir. Et comme il devient vite insupportable d’être une mourante parmi les vivants. Hélène se rend seule en Norvège pour retrouver cette blogueuse, qui lui prête sa petite cabane près d’un fjord. Dans sa pension de famille, la jeune femme vit de peu, de promenades, de sommeil, de repas pris en compagnie de son nouvel ami, et sous le regard d’un soleil norvégien qui ne se couche jamais.
exil norvégien
Dans ce paysage emprisonné par la glace, la maladie est réduite à un état flottant beaucoup plus supportable. C’est ce qui semble intéresser Emily Atef : libérer la maladie de sa seule appréhension médicale et sociale, la placer au milieu d’une nature indifférente. Une déterritorialisation salvatrice pour l’héroïne comme pour le film : s’extirper de la France, Plus que jamais il se démarque aussi du cinéma français et de ses automatismes, dans lequel la première partie, qui était plutôt une mise en scène, s’est engloutie.
Cet exilé norvégien représente une stase, un espace-temps dédié à l’observation de son actrice, Vicky Krieps : la caméra capte ce visage aux allures de petite chouette en gros plans, étrange flash de Meryl Streep, jeune. L’actrice luxembourgeoise s’avère fondamentalement déracinée, toujours en cavale – une évasion qui a commencé par serre moi fort,de Mathieu Amalric (2021).
Réduit à des apparitions vidéo, Mathieu finit par rejoindre Hélène. C’est aussi ici que leur amour s’incarne enfin, notamment lors d’une belle scène d’étreinte, moite, longue et forcément émouvante alors que les derniers restes de fiction s’y dissolvent. On laissera le spectateur découvrir la dernière séquence qui, en choisissant d’éloigner lentement Mathieu de notre regard, scelle le destin du film, tour à tour portrait d’une actrice et tombeau d’images pour un acteur.
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