Rachid Bouchareb : « Les morts violentes d’Arabes en France, cela ne s’est jamais arrêté »

Né à Paris il y a soixante-neuf ans, résidant à Bobigny et Drancy (Seine-Saint-Denis) jusqu’à l’âge de 30 ans, Rachid Bouchareb, d’origine algérienne, est, avec son premier long métrage Bâton rouge (1985), l’un des pionniers de ce qu’on appelait le « cinéma beur » à une époque qu’on peut aujourd’hui facilement qualifier d’antique. De la périphérie, Bouchareb ne filme presque rien. Il ne rêve d’ailleurs que de départs, souvent d’Amérique, où il envoie déjà les trois lascars de Bâton rouge. Il reste cependant lié à la mémoire et à l’histoire de sa famille : Originaire de (2006), la première fiction française sur les tirailleurs algériens, o Hors la loi (2010), en marche vers l’indépendance de l’Algérie, en témoignent. Nos frèresl’évocation du double assassinat, en 1986, de Malik Oussekine et Abdel Benyahia par la police française, prend place dans ce signe.
En 1986, vous avez 33 ans et vous venez de tourner votre premier long métrage. Que représente le double meurtre de cette nuit du 5 décembre pour le citoyen français que vous êtes ?
Comme beaucoup de gens, cela m’a fait une énorme impression. Il ne faut pas oublier qu’il y avait eu auparavant des mouvements antiracistes très importants, la Marche des Beurs en 1983, SOS-Racisme en 1985, qui soutenaient la fraternité et qui nous donnaient de forts espoirs d’amélioration de la situation en France. Et puis l’affaire Oussekine nous ramène brutalement aux massacres de Charonne d’octobre 1961, alors même que les morts violentes d’Arabes en France n’ont jamais cessé. Il est clair pour moi qu’il y a ici une continuité tragique.
Pourquoi pensez-vous à cette résurgence, aujourd’hui, de la mémoire de ce drame, tant dans votre film que dans la série diffusée sur Disney+ qui l’a précédé ?
Je pense que c’est une pure coïncidence. Pour ma part, j’ai ce projet depuis vingt-cinq ans. Nos frèresj’y ai pensé en même tempsOriginaire de Et Hors la loi. C’est la suite de la même histoire. Grands-parents sur les lignes de front de la Seconde Guerre mondiale. Des parents arrivés en France dans les années 60. Et la première génération d’enfants nés dans ce pays.
Les deux affaires, qui ne se déroulent pas dans le même contexte, sont-elles désormais liées ?
Je ne me souviens pas qu’ils aient jamais existé. Les circonstances de la mort de Malik Oussekine éclairent cette affaire. Le Quartier Latin. Manifestations étudiantes. Policier en uniforme. Les dépliants. Abdel Benyahia, qui intervient pour mettre fin à une bagarre, est abattu par un policier ivre en civil dans un café de Pantin. A ce jour je croise beaucoup d’anciens manifestants de l’époque lors des avant-premières du film, personne n’a entendu parler de Benyahia.
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