Reste un peu : critique d’un Gad Elmaleh qui a vu la Vierge

MAINTENANT PRO NOBIS
Si le « genre » du film mystico-religieux a longtemps été l’apanage des plus grands, d’Andrei Tarkovski à Ingmar Bergman en passant par Carl Theodor Dreyer, c’est désormais un territoire délaissé, désormais difficile à contourner sauf Terrence Malick (et encore une fois, livré au plus des références à un culte particulier). Tout au plus, dessinons maintenant une comédie comme Coexistertandis que le thème profond de la foi semble avoir été écarté. Presque un aveu d’échec du cinéma : le sujet est devenu trop compliqué, le monde trop tendu calmement mais sérieusement, ouvrez le sujet et faites-en autre chose qu’une blague ou un conte de fées tout en évitant soigneusement le cœur du sujet.
L’ambiance est au rendez-vous
Alors quelle surprise de voir que c’est Gad Elmaleh qui se chargera d’aller droit au cœur. Soyons honnêtes : l’affirmation « Gad Elmaleh fait un film sur la religion » a suffi à faire grincer des dents, laissant au mieux espérer un grand drame sentimento-moral, et au pire, Qu’avons-nous fait à Dieu ?. Énorme soupir de soulagement : rien de tout cela ici. En ouverture, Gad Elmaleh décoche sa flèche droit dans la bonne cible, adopte un beau ton, très léger, mais faussement calme, comme les mélodies yiddish de son film. « Ils m’ont dit que tu étais un clown » : oui, mais lui aussi est en crise existentielle, amoureux d’une confession catholique à 50 ans alors qu’il est issu de la confession juive et d’une famille séfarade traditionaliste.
Inutile de dire que Gad Elmaleh ouvre une immense boîte de Pandore. C’est aussi explicite : de passage par ses parents à qui il n’a pas encore annoncé son intention de se convertir, Gad Elmaleh assiste à la messe sur son ordinateur, seul dans son ancienne chambre d’adolescent. Sa mère fait irruption, claque soudain l’ordinateur. Le malentendu est clair, mais impossible de dire la vérité, le tourment de la foi est un tabou encore plus implacable que celui du porno. Et nous n’hésiterons pas à le dire : Restez un peu de Gad Elmaleh contient de véritables pièces de mise en scène.
Bien sûr la promotion joue la carte du rire au max, mais bon
HABEMUS GAD ELMALAH
2022 aura donc vu coup sur coup les petites flambées de Franck Dubosc puis Gad Elmaleh comme auteurs, et non, nous n’avons pas écrit cette phrase sous psychotrope amazonien. On dira aussi du second la même chose qu’on a dit du premier : ce n’est certainement pas le Pérou ni même le fabuleux Le silencede Martin Scorsese (à qui Remains « pique » sa scène finale, attention à Gad Elmaleh, à bientôt), mais Restez un peu c’est clairement structuré, explicitement sincère, et loin des manigances habituelles de nos comédiens de chez nous. La tentation est grande vu l’histoire de Gad Elmaleh, mais ne mélangeons pas clowns et bouffons.
Attention : pas besoin d’aller voir Restez un peu se gaver d’un gros morceau de confiture. Si son film fait sourire et contient quelques moments forts comiques, si Gad Elmaleh n’est pas là pour vous déprimer, Gad Elmaleh n’est pas là non plus pour rire, juste pour vous détendre. Pas d’exubérance ici, la foi oui, mais surtout beaucoup, beaucoup de doutes. Et une volonté manifeste de parler, d’échanger les découvertes faites lors de ses pérégrinations spirituelles. Gad Elmaleh répond à l’angoisse de quitter le grand chemin de la foi par l’enthousiasme de suivre un chemin intérieur, plus tortueux, mais loin des sentiers battus.
La promotion joue aussi la carte apéro, troisième image, troisième table
« Heureux ceux qui ne demandent pas le chemin à ceux qui les connaissent, sinon ils risquent de ne pas se perdre », dit-il Restez un peu. Le catholique Tolkien aurait répondu « tous ceux qui errent ne sont pas perdus », et Reste un peu est loin d’être, après tout, à considérer comme un film d’aventure, car c’est explicitement un voyage. Tel un aventurier, Gad Elmaleh s’entoure des meilleurs compagnons dans sa quête de foi, à commencer par ses parents et sa sœur. Des proches qu’il filme avec une tendresse imparable, inquiets de la douleur que provoque sa conversion, scrutant les visages en gros plan, dont il recherche les sourires et redoute les tensions.
Gad Elmaleh devant ses vrais parents
URBI ET ORBI
Cependant, malgré une démarche profondément inattaquable et un style noblement naturaliste parfaitement maîtrisé, une fois Restez un peu achevé, vous ne pouvez pas vous empêcher de penser que si la cible a été touchée, la flèche a atterri un peu décentrée. Pour te dire Restez un peu c’est un très bon film, mais assez petit. Rien à redire, ce n’est pas la taille qui compte et d’ailleurs, après tout, l’humilité et la modestie du film, ainsi que les propos de son auteur dans une interview, expriment bien que l’idée même d’échelle artistique n’a pas de sens. placer ici. Restez un peu il se veut un objet réfléchissant plutôt qu’esthétique et c’est grâce à lui.
Reste un petit jeu sur les frontières entre réalité et fiction avec Delphine Horvilleur ici
Reste cependant la question des limites de la mise en scène, car ils empêchent à la fois un point de vue esthétique et un vrai point de vue réflexif. Aussi, parce qu’il s’agit de le prendre au sérieux Restez un peudans ses qualités, l’honnêteté exige aussi de prendre ses défauts au sérieux. Bien qu’émouvant au premier abord, on se demande immédiatement quel est le véritable intérêt de ce dispositif hautement méta.Restez un peuqui renforce son réalisme avec du béton armé et, en même temps, est un peu gênant : on ne peut s’empêcher de voir le vrai Gad Elmaleh, celui qui a les casseroles et qui nous a infligé noix de cocoderrière le faux vrai Gad Elmaleh, en quête de tranquillité… voire d’absolution.
Un bouchon de liège est allé un peu plus loin dans son attrait pour le public. De même, il est souligné que la vie privée de Restez un peu c’est à la fois sa plus grande force et sa principale faiblesse., et esquive le fait que la question de la foi, si elle est composée majoritairement d’éléments très personnels, est aussi manipulée par des éléments extérieurs et est devenue le rendez-vous de tous les conservateurs obscurantistes les plus puants. Et il ne suffit pas de donner la parole (trop) tard à Delphine Horvilleur pour enrayer la dépolitisation, c’est aussi la preuve que l’ouvrage est conscient de ses travers. Que Gad Elmaleh soit une brebis perdue, ça va. Qu’elle ferme les yeux, c’est énervant.