Simone Veil, au-delà des apparences

L’abbé Benoist de Sinety, curé de la paroisse Saint-Eubert à Lille, a vu le film « Simon, le voyage du siècle » d’Olivier Dahan. Un portrait de Simone Veil qui invite à regarder une personne et ses intentions au-delà des apparences.
Il y a des films qui nous invitent parfois à renouer avec notre histoire. Celui consacré à Simone Veil en fait incontestablement partie. Il y a des gens qui nous obligent à regarder la réalité en face. Cette femme est l’une d’entre elles. Au regard des grandes lignes de ce qui la caractérise, elle semble n’avoir que des traits qui inspirent la méfiance : une grande bourgeoisie qui révolutionne l’administration pénitentiaire en rappelant tous ses devoirs et en protégeant les droits du ministre de droite le plus faible qui exerce la loi en autorisant l’avortement, une femme agnostique persécutée par la haine des antisémites, présidente du Parlement européen qui affirme sa confiance dans la construction d’une Europe pourtant de plus en plus dénigrée… En sortant du cinéma, dans la foule rieuse et un samedi soirée bruyante, je me dis : « Est-ce qu’on sait d’où on vient ? «
Une femme trahie dans ses intentions
Simone Veil n’a pas bonne presse dans certains milieux catholiques, ils sont d’ailleurs les seuls en France à ne pas reconnaître sa valeur, avec peut-être quelques autres qui ne seront pas honorés de s’intéresser à elle. La cause en est, entend-on souvent, cette fameuse loi qui autorise l’avortement. Le 28 novembre 1974, en fin de soirée, Eugène Claudius-Petit, catholique convaincu, prend la parole en dernier : « Dans le regard de la femme la plus sans défense, la plus imparfaite, se reflète le visage de Celui qui est la vie . Grâce à lui, je prendrai ma part du fardeau. Je voterai le texte. Sa parole sera déterminante pour nombre de ses collègues qui le suivront dans son vote.
Il y a quelques années, en 2017, de jeunes militants chrétiens qui voulaient rouvrir le débat sur l’avortement produisaient des affiches rappelant que Simone Veil était une femme trahie dans ses intentions car, écrivaient-ils, sa loi n’existe plus et a été modifiée. C’est donc qu’ils avaient bien compris que l’enjeu de cette loi n’était en aucun cas de banaliser un acte toujours grave et toujours douloureux, mais de protéger ceux qui voulaient y recourir et de mettre fin à une situation d’anarchie dans où les pauvres mouraient cachés tandis que les filles de bonne famille étaient emmenées dans de confortables cliniques suisses.
Simone Velo aurait-elle été catholique, aurait-elle été considérée différemment ? Personne ne peut répondre à cette question, sauf ceux qui continuent de tenir son nom dans le mépris public.
Cette animosité qui l’a hantée jusqu’à la fin de sa vie – je me souviens des cours qu’elle aurait donnés sur la Shoah dans des institutions privées ou des universités parisiennes qui ont été annulées faute de pouvoir garantir sa sécurité – ne peut être comprise par le seul événement de 74. Le Premier ministre et le Président de l’époque, tous deux catholiques, n’ont jamais essuyé cet opprobre et, quelques années plus tard, nombreux étaient ceux qui, rejetant Simone Veil, votaient sans hésitation pour l’un ou l’autre… En un mot, Simone Veil aurait-elle catholique, aurait-elle été considérée différemment ? Personne ne peut répondre à cette question, sauf ceux qui continuent de tenir son nom dans le mépris public.
Le soir de sa vie
Alors écoutez cette petite anecdote : il s’agit de cette femme, amie du cardinal Lustiger, qui porte avec elle le poids de l’indicible tout en maintenant l’exigence d’une vérité qui libère. Je me souviens aussi d’eux, à Auschwitz, le jour anniversaire de la libération du camp. A la fois grands et dignes, enveloppés, non par le mal dont les vestiges les entouraient, mais par la certitude que l’amour d’une mère est plus puissant que tout et ouvre un chemin d’Espérance invincible.
D’où cette anecdote : c’est à la fin d’une célébration funèbre, sans messe, que j’ai présidé à Saint-Germain-des-Prés. Simone Veil connaissait bien les parents du défunt et était venue se tenir à leurs côtés. En la saluant, dans le cimetière, à la sortie de l’église, après avoir parlé quelques instants du cardinal Lustiger, elle me prit la main en la serrant fort. Et il a dit cette phrase dont je me souviens mot pour mot : « Tu sais père, je ne suis pas chrétien, mais je peux te dire une chose. Une cérémonie à l’église sans l’Eucharistie, eh bien… ce n’est pas tout à fait pareil. Elle m’a laissé sur ces mots et est retournée à sa voiture.
C’était à la fin de sa vie. Il a prouvé une fois de plus que personne ne peut limiter qui que ce soit à ses apparences, encore moins l’Esprit à ses convenances.
