Influenceur

“Corsage” de Marie Kreutzer ou la revanche de Sissi impératrice

Vicky Krieps incarne de manière mémorable la rébellion d’une icône, Elisabeth d’Autriche.

Depuis sa révélation en 2018 dans Phantom Thread de Paul Thomas Anderson, où elle incarnait l’ingénue feinte, égérie consentante pour devenir au mieux une amante venimeuse, Vicky Krieps n’a cessé de renouveler de film en film une série de motifs qui cimentent, avec plus ou moins moins de poids, ses rôles. De Serre moi fort à l’île Bergman en passant par Old, jusqu’à Corsage aujourd’hui, une sorte de dialectique sur l’être féminin s’est cristallisée : son rapport à la maternité, au vieillissement, au couple hétérosexuel, à l’homme puis au regard dominant et discriminant de patriarcat – un « serre-moi fort » étouffant. C’est à cette suffocante tyrannie des genres que se rattache Corsage, un film d’époque sur l’iconique Elisabeth d’Autriche, alias l’impératrice Sissi, mais pas un biopic impertinent sur le pourquoi et le comment de sa vie de château.

Au visage joufflu de Romy Schneider succède celui de Krieps, et avec lui cette coexistence mystérieuse entre la délicatesse impassible des traits et leur hyper-émotivité (le blush sur les joues). C’est à un moment précis de la vie de l’Impératrice que Kreutzer s’intéresse, ses 40 ans, l’âge de la mort sociale pour les femmes d’hier et d’aujourd’hui. Dans sa première partie, Corsage, à travers le corset qui l’enlace jusqu’à l’étouffer, décrit ce combat entre Elisabeth et cette logique de l’épanouissement féminin telle qu’elle est enseignée. Le réalisateur montre, à travers un incroyable sens du détail, les obstacles infinis qui se présentent à Elisabeth et l’entourent, avec cette mécanique imperturbable qui donne au film une agitation maîtrisée et l’arrache à tout académisme. C’est un mouvement de caméra balayant un triste et fin bouillon servi en porcelaine, une remarque sur son teint « délavé »…

Une subjectivité multipliée 24 fois par seconde

Après avoir observé de loin (le film n’impose jamais de sujet) cette folle entreprise qui consiste à retenir le temps, Corsage et son héroïne rebelle querelleuse, téméraire, invétérée s’abandonnent, fuient, se retirent du monde pour vivre dans une île fraternelle où la vie c’est beau, les gens fument, boivent et mangent, enfin les cheveux courts ça éclaire tout. Sous son récit d’émancipation, Corsage théorise aussi la naissance du cinéma et le caractère libérateur de l’image en mouvement, cette subjectivité multipliée 24 fois par seconde qui capte, sans jamais la saisir pleinement, la complexité d’une expérience féminine – préférant le sauvetage, l’obscurité risquée d’une course nocturne aux lumières vives d’un portrait de maître plat et unidimensionnel.

Corsage de Marie Kreutzer, avec Vicky Krieps, Florian Teichtmeister, Katharina Lorenz (Autr., Fr., Lux., All., 2022, 1 h 53). Au cinéma à partir du 14 décembre.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Bouton retour en haut de la page