Des sites vosgiens menacés par l’arrivée massive de touristes strasbourgeois
Les habitants de Strasbourg et d’Alsace sont de plus en plus attirés par les Vosges, selon les parcs naturels régionaux. Un afflux localisé sur certains sites, et destructeur pour les écosystèmes, qui oblige à repenser le tourisme de montagne.
Les Vosges sont de plus en plus prisées. Les célèbres Youtubeurs MacFly et Carlito s’y mettent également. Dans une vidéo cumulant plusieurs millions de vues publiée en mai 2021, on les voit sauter nus dans l’étang du Lieschbach, en plein parc naturel régional des Vosges du Nord. « Après cela, nous avons remarqué une attirance pour ce site alors qu’il n’avait pas été visité auparavant », indique Michaël Weber, président du parc et maire socialiste de Woelfling-lès-Sarreguemines. Cette mise en scène n’a pas plu à l’Office national des forêts (ONF), qui a rappelé que la baignade est interdite dans ce plan d’eau, classé réserve naturelle.
Michaël Weber, également président de la Fédération des Parcs naturels régionaux de France, évoque également la soudaine très forte fréquentation du rocher de Roppeviller qui provoque des difficultés de circulation et de stationnement, des incivilités et crée ainsi des nuisances pour les riverains et une pression sur la nature.
Le grand tétras dérangé par le tourisme, menacé d’extinction
Interrogée par Rue89 Strasbourg, Denise Buhl (LR), vice-présidente de la Région Grand Est déléguée à la montagne, a indiqué qu’aucune statistique ne permet actuellement de quantifier cette augmentation des présences dans les Vosges, alors qu’elle a été clairement constatée par de nombreux acteurs, mais dans des temps et des lieux particuliers. Laurent Séguin, maire de gauche de Faucogney-et-la-Mer et président du Parc naturel régional des Ballons des Vosges (PNRBV), explique :
« Les foules se concentrent les week-ends et pendant les vacances scolaires sur des sites bien précis et facilement accessibles : la Route des Crêtes, le Col de la Schlucht, le Hohneck, le Grand Ballon, le Col du Bonhomme ou encore le Lac Blanc. Mais parfois, 700 mètres de ces lieux, il n’y a plus personne. L’urgence pour nous est de préserver certaines zones de vie des mammifères et des oiseaux protégés. S’ils sont dérangés par les touristes, cela induit une réaction de stress, et potentiellement une fuite qui peut les tuer à cause de la mobilisation d’énergie que cela implique. Le grand tétras des Vosges (oiseau emblématique d’Alsace aussi appelé Coq de Bruyère ndlr) est également menacé d’extinction à cause de cela par exemple. »
Le grand tétras des Vosges est une espèce menacée d’extinction, principalement à cause du tourisme. (Photo Richard Bartz/wikimedia commons)
Le PNRBV a lancé le programme « attitude tranquille », qui vise à promouvoir auprès du public les bonnes pratiques à adopter dans la nature pour protéger les animaux : éviter certaines zones sensibles, rester sur les chemins et être calme, tenir le chien en laisse, se concentrer sur les activités de jour. Le parc met à disposition des professionnels du tourisme des outils de communication. La démarche est aujourd’hui étendue à l’ensemble du massif vosgien.
Promouvoir des pratiques plus délicates
« Une vague de touristes alsaciens en quête de fraîcheur cet été a asphyxié certains sites », abonde Christophe Le Rouge, chef de projet du collectif Massif des Vosges, composé des régions Grand Est, Bourgogne Franche Comté et des six départements que compte le massif. croise. Son objectif : « développer le tourisme et promouvoir les Vosges en tant que destination touristique à l’échelle européenne. Mais il l’assure :
« Aujourd’hui, en tant que professionnels du tourisme, nous avons des injonctions paradoxales : attirer les gens et préserver l’environnement. Il faut tout repenser, proposer de nouvelles activités plus douces. Nous travaillons à créer une nouvelle offre, avec par exemple des randonnées nature, des séjours bien-être, des circuits pédestres avec hébergement ou encore la découverte du patrimoine culturel comme les châteaux, la route des arts du verre entre Nancy et les Vosges. ou fermes. Nous souhaitons donc répartir les visiteurs sur l’ensemble du territoire afin de réduire la pression sur certains grands sites et limiter au maximum les nouveaux projets d’aménagement.
Nous devons également sensibiliser les touristes urbains. Cet été, nous avons reçu de nombreuses plaintes d’agriculteurs-aubergistes car ils trouvaient des ordures partout, les grilles des clôtures n’étaient pas fermées et les gens dormaient sous des tentes dans des endroits inadaptés. »
Piétinement et gaspillage
« Face à ce phénomène d’arrivée massive de touristes, une réflexion politique s’impose nécessairement pour limiter les effets négatifs sur l’écosystème et sur les habitants », observe Michaël Weber. Il recontextualise la hausse de fréquentation du massif :
« Depuis le début des années 2010, on voit émerger une offre et une demande d’écotourisme, c’est-à-dire une volonté de s’intéresser au patrimoine naturel. Le Covid a amplifié le phénomène, et les visiteurs urbains, nombreux de Strasbourg, affluent. Ces touristes qui ne viennent pas de loin et pour une courte durée sont appelés touristes d’excursion. Ils n’ont pas nécessairement les codes et peuvent se comporter d’une manière qui a des impacts négatifs sur les écosystèmes. »
La Route des Crêtes est très fréquentée. (Photo fournie / Alsace Nature)
Stéphane Giraud, directeur d’Alsace Nature, décrit d’autres impacts négatifs de la surpopulation, en plus du dérangement des animaux : la dégradation des écosystèmes due aux dépôts de déchets et au piétinement qui abîme les sols et menace les espèces végétales. Par ailleurs, « les élus locaux et les entreprises souhaitent construire des infrastructures pour accueillir cet afflux de touristes », et donc « détruire ou endommager gravement des espaces naturels ».
L’attrait pour les sports de montagne
Aujourd’hui encore, plusieurs projets de développement sont décriés par les associations environnementales. Il y a par exemple la communauté de communes Mossig et Vignoble qui veut investir 2 millions d’euros dans la construction de pistes VTT artificielles dans l’alpage Langacker et dans les bois environnants au-dessus de Wangenbourg. Alsace Nature s’oppose également aux projets d’élus et d’acteurs économiques de la vallée de Munster de créer une via ferrata à Tanet, ou une tyrolienne envisagée par l’exploitant à Gaschney. Stéphane Giraud explique :
« Les téléphériques ne représentent certes pas une grande artificialisation du sol, mais ils impliquent des gens qui crient toute la journée dans la forêt, en totale contradiction avec l’approche « quiet attitude ». Plus généralement, nous nous battons contre le modèle qui vise à construire une sorte de parc d’attractions en pleine montagne, forcément avec beaucoup d’artificialisation, de bruit, de circulation, concentrés dans des lieux précis. »
Autre point de tension, l’explosion d’intérêt pour le sport en milieu naturel, particulièrement redoutée par l’association SOS Massif des Vosges. Son président, Dominique Humbert, dit d’emblée qu’il n’est pas hostile à la pratique du VTT ou de la course à pied, « qui se portent bien dans la plupart des cas », mais contre les balades sauvages, hors sentiers dédiés, et la multiplication des compétitions. Il dénonce les « nombreux trails » (courses à pied) organisés tout au long de l’année dans les Vosges. Ces événements rassemblent « parfois des centaines de participants…