Influenceur

«Sisters»: De Palma refait Hitchcock… ou pas

La revue A posteriori le cinéma est l’occasion de célébrer le septième art en revisitant des titres phares qui célèbrent des anniversaires importants.

Au fil des décennies, de nombreux écrits, souvent contradictoires, ont été écrits sur Brian De Palma, réalisateur de Carrie, Blow Out, Scarface et Carlito’s Way. Des collègues, comme l’ami Martin Scorsese ou encore Park Chan-wook et Quentin Tarantino, sont des admirateurs déclarés. Les critiques français en sont friands. Il n’en demeure pas moins que le « plagiat d’Hitchcock » reste le raccourci privilégié pour faire parler de lui. De Palma, cependant, n’a jamais caché son inspiration à Hitchcock. D’où l’intérêt pour la réinterprétation de Sisters (Blood Sisters), sorti à New York il y a 50 ans, en novembre 1972, et qui constitue la toute première incursion du jeune loup du New Hollywood dans l’univers du Maître du suspense.

Dès le générique d’ouverture, le réalisateur montre ses influences telles que la musique terrifiante de Bernard Herrmann, compositeur de nombreux chefs-d’œuvre d’Hitchcock, dont Rear Window, Vertigo (Cold sweat) et Psycho (Psychosis). De Palma retrouvera Herrmann pour Obsession, une belle refonte de Vertigo avec Geneviève Bujold. Vertigo qui, selon De Palma, est le film qui l’a poussé à devenir réalisateur :

« Un film que j’ai vu en 1958 et qui m’a fait une impression incroyable, bien avant que je ne m’intéresse au cinéma. Il y avait quelque chose dans la narration et le langage cinématographique qui m’a touché même si, à l’époque, j’étudiais pour devenir ingénieur », confiait-il à NPR en 2016.

Après l’intro musicale angoissante, les choses semblent prêtes à prendre une tournure romantique alors que Danielle (Margot Kidder) ramène Philip (Lisle Wilson) à la maison. Ceci, au grand dam de Dominique, la jumelle de Danielle, qui proteste depuis la pièce voisine.

Apprenant que c’est l’anniversaire des jumeaux, Philip sort leur acheter un gâteau. A son retour, il est poignardé par Dominique. Inattendue, choquante, la scène est épiée par Grace (Jennifer Salt), qui habite l’immeuble d’en face. Reporteriste déterminée, elle passera le film à enquêter sur ce meurtre dont personne ne croit qu’il a eu lieu. Un médecin effrayant (William Finley) est également impliqué.

A la longue, avis spoiler, il s’avère que Danielle et Dominique, soeurs siamoises nées au Québec (!), ne font qu’une, la première ayant développé un trouble de la personnalité au décès de la seconde après qu’une opération de séparation aurait échoué .

Entre amis

A son arrivée chez Sisters, Brian De Palma venait de se casser les dents à Hollywood. Fort du succès de Greetings et Hi, Mom!, comédies satiriques indépendantes et contestataires tournées à New York avec un débutant nommé Robert De Niro, Warner Bros lui avait en effet proposé de diriger Orson Welles et Tom Smothers (des Smothers Brothers ) dans la comédie loufoque Know Your Rabbit.

« Ils ont pris mon film, l’ont réédité et l’ont terminé sans moi. J’ai été viré, c’est aussi simple que ça », raconte le réalisateur de cette expérience « dévastatrice » dans le livre Les Mille Yeux de Brian De Palma, de Luc Lagier.

A noter que le réalisateur entretiendra toujours une relation amour-haine avec les grands studios et les figures d’autorité, ces dernières trompant systématiquement ses films. Mais en somme, Sisters a marqué, pour De Palma, un retour à New York, en plus d’être l’occasion d’une tournée entre amis : quoi de mieux pour panser ses blessures professionnelles ?

Amie de Brian De Palma depuis le collège, Jennifer Salt vivait avec Margot Kidder (future Lois Lane dans Superman). C’était l’amante du réalisateur, venu vivre avec eux. Un matin de Noël, elle leur a donné à chacune un exemplaire du scénario de Sisters. William Finley, vedette du Fantôme du ciel, le prochain film de De Palma, était le colocataire du réalisateur pendant ses études.

« Brian sait exactement qui il est et ce qu’il veut », déclare Jennifer Salt, dans une interview réalisée par Arrow Video. Il a une vision très précise bien avant de vous rencontrer. Tout est dans sa tête. C’est très complexe et il n’aime pas en parler. Il ne fait qu’un avec le processus. »

professeur de grammaire

Pour en revenir à Hitchcock, on aura vu le spectre de deux de ses œuvres majeures planer sur le résumé de Sisters : Danielle adopte la personnalité de sa jumelle décédée tandis que Norman Bates se fait passer pour sa mère décédée dans Psycho ; Grace sait que son voisin d’en face est un meurtrier comme Jeffries sait que son voisin est un meurtrier dans la fenêtre arrière…

En parlant de Fenêtre sur cour, qui repose sur une dynamique de voyeurisme faisant métaphoriquement écho au statut du spectateur, c’est certainement l’autre film d’Hitchcock qui a le plus influencé De Palma : le thème du voyeurisme, métaphore comprise, mais satirique en plus, il a au cœur de son cinéma depuis ses premiers films underground.

« De Palma a développé un voyeurisme poétique presque surréaliste, l’expression stylisée d’un esprit délicieusement tordu. Il n’utilise pas l’art à des fins voyeuristes ; utilise le voyeurisme comme stratégie et thème pour alimenter son art satirique. Elle met en lumière le fait que le voyeurisme fait partie intégrante de la nature des films », notait dans le New Yorker l’influente Pauline Kael, l’une des rares critiques américaines à avoir fait l’éloge de De Palma, dans un essai sur Dressed to Kill (Pulsion), une variante jaune de Psycho.

A propos de Sisters dans le recueil d’interviews de Brian De Palma, le réalisateur a expliqué à Laurent Vachaud et Samuel Blumenfeld :

« Hitchcock est le maître de la grammaire cinématographique, et si vous vous intéressez à la forme – ce que je fais – vers qui d’autre vous tournez-vous que lui ? […] Il avait une sensibilité très victorienne et un sentiment de culpabilité obsédant, hérité de son éducation catholique. Il n’y a rien de tel avec moi. J’ai appris le vocabulaire d’Hitchcock, mais j’ai développé moi-même bien d’autres choses. »

Le réalisateur évoque le ralenti et le split screen, des techniques qu’il affectionne, auxquelles on ajoutera la lentille bifocale (split diopters).

« Ces emprunts pour lesquels on me reproche tant ne sont qu’un moyen de recueillir du vocabulaire puis d’écrire mes propres phrases. »

Question de…

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Bouton retour en haut de la page