Musique

EXCLUSIF : Tugan Sokhiev retrouve l’Orchestre du Capitole : « Mon lien avec Toulouse ne pourra jamais se rompre »

l’essentiel En mars dernier, quelques jours après le déclenchement de la guerre russo-ukrainienne, Tugan Sokhiev démissionnait de la direction de l’Orchestre du Capitole et de celle du Bolchoï. Le musicien revient pour un concert-événement le jeudi 17 novembre à la Halle aux Grains. Il prend la parole pour la première fois après un long silence médiatique.

Tugan Sokhiev n’a pas changé depuis le début de l’année. Il affiche le même sourire charmeur, ce regard vif, cette amitié sans faille par lesquels nous le connaissons. Son visage semble détendu après une première journée d’essais qui s’est très bien déroulée. En français et parfois en anglais, il parle librement de cette « période très difficile » qu’il a vécue après son départ forcé de Russie.

Qu’avez-vous ressenti en arrivant à Toulouse ?

J’avais l’impression d’être de retour à la maison. J’ai quand même passé 18 ans de ma vie à Toulouse et participé à de nombreux projets ! Mon temps ici ne peut se réduire aux douze ou quinze semaines de présence auxquelles j’avais droit par contrat. Je suis fier de Toulouse et de tout ce que j’ai pu faire pour la ville, avec un public formidable et des musiciens incroyables.

Comment vous ont-ils accueilli pour le premier test ?

Je suis arrivé à 10h et encore une fois, c’était comme renouer avec une grande famille. L’accueil a été très chaleureux. Avant de commencer les travaux, je les ai remerciés pour leur gentillesse et leur soutien ; pour tous les messages qu’ils m’ont envoyé pendant cette période très difficile. Et puis, je leur ai dit que tout ça était derrière nous et qu’on était là, ensemble, pour faire de la musique.

Avez-vous craint que votre lien étroit avec l’orchestre du Capitole ne soit moins fort ?

Pour rien. Cette osmose, cette alchimie, cette confiance qui a tout de suite fonctionné, depuis 2003, ne disparaîtra jamais. Je ne peux pas expliquer ce qui fait la force de ce lien. C’est la magie de la communication humaine. Je prends tellement de plaisir à enflammer les passions, à inspirer les musiciens. Et ce n’est pas une rue à sens unique.

La période qui a suivi votre double démission des orchestres de Toulouse et de Moscou a-t-elle été difficile ?

J’ai eu la chance de tenir tous mes engagements. Depuis avril, je suis à Salzbourg, dans le cadre des fêtes de Pâques, pour diriger la 7e symphonie de Chostakovitch, qui marquait le 80e anniversaire de sa création. Certaines voix se sont élevées pour supprimer toute présence russe lors d’événements culturels. L’équipe du festival a mandaté que ce concert ait lieu. C’était tellement fort de présenter une telle œuvre, qui évoque le cauchemar de la guerre. Puis je suis allé à Munich, Rome, etc. Ce travail intense m’a beaucoup aidé. Je ne me sentais pas seul, abandonné par le monde musical. La vie d’un artiste est si fragile : il faut des années pour la construire mais si peu de temps pour la réduire à néant.

Ceux qui vous ont vu diriger les plus grands orchestres depuis le printemps disent que vous avez acquis une stature encore plus imposante…

Disent-ils cela parce que j’ai pris du poids ? (rires) C’est difficile de se juger soi-même. Je ne peux que confirmer que tout ce qui se passe actuellement en Europe nous oblige à repenser beaucoup de choses. C’est aussi vrai pour moi que pour nous tous, n’est-ce pas ?

Quel rôle accordez-vous à la musique en ces temps difficiles ?

Comme les autres arts, c’est le moyen le plus fort d’unir les peuples, les peuples, les nations. Quand tout est fini, quand les gens se blessent à nouveau, c’est la culture qui participe à leur guérison. Tout le monde parle du réchauffement climatique. Mais comment sauver l’humanité, la planète en oubliant Mozart, Shakespeare ou Michel-Ange ?

Considérez-vous votre travail comme une mission ?

Oui, je me bats au quotidien contre le vandalisme infligé à la culture. Dans tous les pays, les budgets sont réduits. Pour certains, la musique est secondaire. Et bien non! Si nous voulons améliorer nos relations avec les autres, rien ne vaut la culture.

Pour votre retour à Toulouse, vous avez choisi la 8ème Symphonie de Bruckner. Comment venir ?

Ce travail est sans fin… comme la vie. Il intègre tellement de choses. Bruckner confronte son moi au monde, à la nature. Il est passionné, aimant; parfois drôle et sarcastique. Cette symphonie est une vision de la vie.

N’avez-vous pas peur que l’émotion vous submerge à la fin du concert ?

Je veux d’abord penser au public, ce public très mélomane que nous avons la chance d’avoir à Toulouse. Mais, c’est sûr, il y aura un sentiment spécial, en eux et en moi. Ce serait facile de dire : je tourne la page, je ferme le chapitre toulousain. Seulement il y a un triangle indestructible : l’orchestre, le public et moi.

Cette saison, trois concerts avec l’orchestre du Capitole, plus un, en mars, avec le Wiener Philharmoniker, dans le cadre des Grands Interprètes…

Vienne est le rêve. Un rêve que je vis depuis 2009, chaque année, pour des rendez-vous fixes. Et c’est formidable que de tels groupes puissent venir à Toulouse grâce aux Grands Interprètes. Le programme que nous avons préparé (Rimski-Korsakov et Tchaïkovski, éd.) devrait satisfaire les téléspectateurs.

Prévoyez-vous de revenir à Toulouse lors de la saison 2023-2024 ?

Je ne sais pas ce qui se passera d’ici là. Mais sachez que si je reviens à Toulouse c’est parce que les musiciens du Capitole ont exprimé avec force leur volonté de poursuivre notre relation musicale. Dès qu’ils me le demanderont à nouveau, je répondrai présent.

Un nouveau chef sera bientôt nommé pour vous remplacer. Comment vivez-vous cela ?

Le Capitole ira de l’avant et c’est logique. J’espère que mon remplaçant fera l’unanimité auprès des musiciens. Ce qui créera une nouvelle alchimie. Qui répondra aux normes les plus élevées. Je suis sûr que les membres de l’orchestre feront un choix du cœur. Et ça l’administration va valider : elle n’a rien à imposer artistiquement, ça ne marche jamais.

Souhaitez-vous désormais vous attacher durablement à un orchestre en particulier ?

Pas maintenant. Je suis directeur musical depuis 2001, d’abord à Cardiff puis à Toulouse, Berlin et Moscou. Être indépendant, c’est bien aussi. Nous avons moins de responsabilités, notamment administratives ; plus de liberté. J’ai la chance de pouvoir diriger les meilleurs orchestres du monde. J’ai mon horaire bien rempli pour 2023, 2024 et 2025. À raison de 15 jours à trois semaines de travail par mois, je serai très occupé pour les années à venir!

Tugan Sokhiev dirige l’Orchestre du Capitole, jeudi 17 novembre à 20h à la Halle aux grains (place Dupuy), Toulouse. Tarifs : de 18 € à 65 € Prévu également les jeudi 23 mars et samedi 10 juin 2023. Tél : 05 61 63 13 13 (www.onct.toulouse.fr). Le concert avec le Wiener Philharmoniker aura lieu le samedi 18 mars. Tarifs : de 20 € à 165 €. Tél.05 61 21 09 00 (www.grandsinterpretes.com).

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