La «Messe en si» d’un monde terrassé

Yannick Nézet-Séguin a repris dimanche après-midi, à la Maison symphonique, la Messe en si bémol de Bach, qu’il avait dirigée sans public au Festival Bach 2020. A l’époque, on s’attendait à une amplification de sa vision, mais cela a changé.
Rendant hommage à Jean R. Dupré, président-directeur général de l’Orchestre Métropolitain, qui prend sa retraite après dix ans d’un mandat marqué, selon Yannick Nézet-Séguin, par un ancrage accru de l’orchestre dans la communauté et à l’international, il a souligné la réalisateur le passage serein et convivial avec la nouvelle directrice générale, Fabienne Voisin, dans un univers musical « fait de départs sensationnels et d’intrigues ». C’est vider le cœur.
Yannick Nézet-Séguin a également souligné la place de la messe elle-même et, aujourd’hui, sa nécessité comme message de paix. L’œuvre symbolise une sorte d’harmonie dans le monde, où la guerre est une réalité plus tangible que jamais, où les bonnes intentions climatiques priment sur l’action et où les fondations financières se fissurent. C’est le poids d’un monde écrasé qui semblait porter la performance de dimanche. Parfois par conception, parfois par défaut.
chape de plomb
A l’issue de la webdiffusion 2020, nous concluions notre reportage : « Yannick Nézet-Séguin a le devoir de tous les mélomanes de reprendre ce travail « en vrai » l’année prochaine. Il n’est pas possible de manquer un tel monument de son vivant. Également en raison d’une pandémie. »
Malgré les conditions sanitaires draconiennes en matière d’éloignement des musiciens, le chef d’orchestre avait réussi à communiquer une intense sensation de souffle mystique. « Hymne, grand style, intemporel » étaient les trois mots que nous avions mis en avant et nous en attendions une amplification du retour d’une mise en page « normale », qui aurait permis d’augmenter l’ampleur générale par effet de masse. Au contraire!
Dès le premier mot « Kyrie », cette messe en si, millésime 2022, est apparue écrasée sous une chape de plomb, avec un refrain contrit, ayant perdu la force de supplier ou d’invoquer Dieu. Vision très étrange, où lorsque les basses chantent « Je croire », on a l’impression qu’ils s’excusent d’avoir cru. Même les « Gratias » ont été touchés par ce chant doux et effrayant, la gradation au sein des chœurs (le retour de « et in terra pax » dans le Gloria) suscite rarement une exaltation expressive. Ce manque d’affirmation croyante, de remise en cause du Divin, était quelque chose d’étonnant, voire d’étonnant.
Il y avait une partie de la vision du chef d’orchestre, qui fait des deux moments « de poids » (« Qui tollis » et « Agnus Dei ») les deux points saillants de son interprétation. Mais il y avait aussi beaucoup de lacunes chorales. On s’ennuyait beaucoup à la Chapelle de Québec en écoutant cette section haletante de ténors, ces sopranos hétéroclites. Je suis par exemple d’accord avec le « Et incarnatus » très lent et sans consonnes, façon Carlo Maria Giulini, mais quand on a les chanteurs pour le faire, pas avec de telles attaques et un organiste qui monte le son pour préserver l’intonation. Enfin, autre problème de culture chorale, quand les cordes martèlent les clous pendant le Crucifixus, le chœur doit faire de même avec des voix piquantes sur « Cru » (de Crucifixus) ou « Pa » (de « Passus »). Quoi qu’il en soit, les amuse-gueules légers étaient le lot de l’après-midi.
Petit changement par rapport à 2020 : le chef d’orchestre, qui avait sagement opté pour un continuo unissant orgue et clavecin, s’est cette fois privé des couleurs du clavecin. Enfin, les solistes de l’époque, Kimy McLaren, Rihab Chaieb, David Portillo et John Relyea, ont été remplacés par Erika Baikoff, Karen Cargill, Werner Güra et Nathan Berg. Karen Cargill a facilement maîtrisé son univers (fabuleux « Agnus »), le duo n’a jamais abouti avec une soprano honorable, mais elle a beaucoup balancé. Le timbre serré et couvert de Güra était pénible à entendre une semaine après le brillant Andrew Haji. Quant à Berg, sa voix est un peu à l’étroit maintenant.
Attendons-nous trop de Yannick Nézet-Séguin? Peut-être. A moins qu’il n’ait voulu défendre une version nihiliste à la tête d’un chœur incapable de donner vie à cette vision.
La messe de Bach en si mineur
Erika Baikoff (soprano), Karen Cargill (mezzo), Werner Güra (ténor), Nathan Berg (baryton-basse), Chœur, Orchestre Métropolitain, Yannick Nézet-Séguin. Maison symphonique de Montréal, 18 décembre 2022.
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